Haïti
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L ’archéologie coloniale, et en particulier l’étude des forts des Antilles, se développe depuis les années 80. Certains d’entre eux ont été fondés par les flibustiers ou par les troupes coloniales françaises. Dans ce type de configuration, ces installations de défenses côtières ont été la cible de raids pirates au cours des XVIIe-XVIIIe siècles tandis que certains ont parfois même été édifiés par ces derniers.
Attaque de l’île de la Tortue par les Espagnols en 1654, Aquarelle
Archivo General de Indias, Séville
La partie ouest d’Hispaniola, actuelle République d’Haïti, est au XVIIe siècle l’un des refuges de la flibuste, en raison de l’abandon de la zone par les troupes espagnoles. La période flibustière d’Hispaniola débute en 1640, avec l’installation de François Levasseur sur l’île de la Tortue, et s’achève en 1697, date du traité de Ryswick, où l’Espagne reconnaît les droits de la France sur la partie ouest de l’île.
L’île de la Tortue est sans doute le repère de flibustiers le plus connu. Pourtant, d’autres foyers existent également en Haïti, notamment à Port-de-Paix, au Cap, à Petit Goâve, à Léogane, et sur l’île à Vache.
Sur l’île de la Tortue, le principal fort est le Fort de la Roche, fondé vers 1640 par François Levasseur, second du flibustier normand Pierre Belain d’Esnambuc. Levasseur repère au sud de l’île, à quelque 600 mètres de la seule baie accessible par bateau, une plateforme sur une grande roche. Il y fait bâtir sa demeure et fortifie le lieu, qui est appelé Fort Le Vasseur ou Fort de la Roche.
Autour de cette roche, Levasseur élève une enceinte quadrangulaire, flanquée au sud par deux bastions, dont un qui reçoit l’entrée. Le rocher central aurait un diamètre de près de 11 mètres et une hauteur de 7 à 9 mètres.
Le fort est attaqué par les Espagnols en 1643 et en 1654. D’après l’ingénieur Blondel, les Espagnols rasent le fort, fait de bonne maçonnerie, après leur seconde attaque.
En 1666, l’ingénieur Blondel se rend sur l’île de la Tortue et dessine les plans d’un nouveau fort en contrebas du Fort de la Roche, plus proche de la baie. Il s’agit d’une tour circulaire qui flanque une basse-cour défendue côté mer par une courtine ponctuée d’embrasures de tirs, et côté terre, par une palissade de bois formant courtine et demi-bastions.Blondel lance les travaux puis quitte le site. Le fort sera achevé dès la fin de l’année 1668, le sieur d’Ogeron ayant avancé de ses fonds personnels pour terminer la construction. Blondel lance les travaux puis quitte le site. Le fort sera achevé dès la fin de l’année 1668, le sieur d’Ogeron ayant avancé de ses fonds personnels pour terminer la construction.
Port de Basse-Terre et fort Blondel, gravure, 1667
BNF, cote Div 5 portefeuille 1
Aussi incroyable que cela puisse paraître, l’île de la Tortue, ce bout de terre mythique qui a joué un rôle majeur dans la piraterie des Caraïbes au XVIIe siècle, n’a pratiquement jamais fait l’objet de fouilles archéologiques !
En 1948, une mission dirigée par l’anthropologue suisse Alfred Métraux s’est bien intéressée aux populations amérindiennes et a rassemblé quelques céramiques taïnos (aujourd’hui conservées au musée du Quai Branly), mais concernant la période flibustière, tout reste à faire.
Céramiques de Taïnos et statuette d’idole Zemi en bois
Bowers Museum Collection Santa Ana, Californie, Metropolitan Museum de New York
Les deux forts de la Tortue présentent un réel intérêt pour l’histoire de la flibuste et pour celle des premières implantations françaises à Saint-Domingue durant la seconde moitié du XVIIe siècle. La rareté de ce type de sites et les diverses descriptions qui laissent entrevoir des différences, voire des évolutions des bâtis, méritent que les archéologues s’y intéressent.
La seule et unique mission scientifique à s’être penchée sur l’histoire pirate de l’île est organisée en 1987. Composée d’une équipe franco-haïtienne, sous la direction de l’historien Jacques de Cauna et de l’architecte Daniel Elie, elle a pour objectif d’identifier les principaux lieux de la flibuste de la Tortue, en particulier les deux forts, construits l’un par le gouverneur Le Vasseur en 1640 et l’autre par l’ingénieur Blondel dans les années 1670 pour le gouverneur d’Ogeron. Le Fort Le Vasseur est retrouvé grâce à des traces d’aménagements encore visibles. L’équipe met également au jour le second fort, où l’on discerne encore un pan de fortification et trois canons, ainsi qu’une batterie haute. Les premiers résultats de cette exploration sont publiés dans la foulée dans les numéros 174-175 de la revue franco-haïtienne Conjonction en 1987. En conclusion, l’équipe préconise l’organisation d’une nouvelle campagne archéologique, afin de renseigner précisément ces vestiges d’occupation mais à ce jour, cette campagne n’a toujours pas eu lieu.
Il faut attendre les travaux de Philippe Hrodej, Maître de conférences à l’Université de Bretagne Sud, sur la flibuste à Saint-Domingue et ceux de Laurent Pavlidis, historien et conservateur du Musée d’Histoire Maritime de Saint-Tropez pour que de nouvelles recherches soient publiées sur l’île de la Tortue.
Aujourd’hui, l’île reste très peu aménagée par l’homme et les voitures n’y circulent pas. Les communes actuellement habitées sont les mêmes qu’à l’époque de la flibuste, avec comme secteur principal la rade de Basse-Terre et le plateau de Haut Palmiste, en surplomb. La Tortue est donc relativement bien préservée. Néanmoins, la République d’Haïti présente une grande instabilité politique depuis 2010 et la sécurité sur place est très incertaine. Ce contexte difficile empêche pour l’instant toute organisation d’une mission archéologique à court terme.
Néanmoins, nous ne désespérons pas d’organiser une première mission de repérage au 2ème semestre 2025 avec une campagne de prospection archéologique, une photogrammétrie des vestiges en place et une étude des canons visibles.
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