L’île Sainte-marie

L’île Sainte-marie

Fouille

Archeologie

Terrestre

Madagascar

5 min

Poursuite des fouilles archéologiques sur l’île Sainte-Marie à Madagascar

Survol de la baie d’Ambodifotatra, île Sainte-Marie, Madagascar

A. Coulaud, 2025 ©

Survol de la baie d’Ambodifotatra, île Sainte-Marie, Madagascar

A. Coulaud, 2025 ©

Au nord-est de Madagascar, dans la baie d’Ambodifotatra de l’île Sainte-Marie, les fouilles archéologiques terrestre et sous-marine ont continué cette année en mai 2025. Ces investigations ont fait suite aux recherches déjà menées en 2022 et en 2024. Une quinzaine d’archéologues, amateurs et étudiants ont travaillé durant trois semaines sur ce petit bout de terre de l’océan Indien afin de mettre au jour les vestiges archéologiques d’un repaire de pirates occupé entre la fin du XVIIe et le début du XVIIIe siècle. Distants de 70 m, deux sites tout à fait uniques ont été fouillés en parallèle : une épave de navire pirate coulé vers 1720-1721 et un habitat littoral très probablement contemporain du naufrage occupé par les forbans. Encore cette année, de fabuleuses découvertes ont été réalisées par l’équipe apportant une meilleure compréhension de ce site exceptionnel.

Vue drone de la zone de fouille sur l’îlot Madame

A. Coulaud, 2025 ©

Vue drone de la zone de fouille sur l’îlot Madame

A. Coulaud, 2025 ©

Les vestiges d’un établissement côtier pirate

Les vestiges d’un établissement côtier pirate

En mai 2024, sous la direction d’Alexandre Coulaud et Ludovic Ibba, un premier sondage de 18 m² (6 x 3 m) a été ouvert parallèlement à la façade sud-est du musée de la Reine Bétia sur l’îlot Madame. La fouille de deux semaines a révélé 32 structures archéologiques fossoyées (trous de poteau, trous de piquet, fosse, sablière) respectivement réparties au sein de neuf phases chronologiques distinctes s’échelonnant sur le niveau de plage stérile entre la fin du XVIIe siècle et la seconde moitié du XXe siècle. Trois phases stratigraphiques comprenant des structures archéologiques, intercalées avec des phases d’abandon, de colluvionnement ou d’apports sédimentaires non anthropiques, ont pu être rapprochées des occupations pirates entre la fin du XVIIe siècle et le premier tiers du XVIIIe siècle. Un riche mobilier archéologique de 2266 restes comprenant de la porcelaine chinoise de la fin de la période Kangxi (946 tessons), de la céramique graphitée parfois décorée de tradition malgache (196 tessons), de la céramique asiatique (jarre de Martaban), orientale (bouteille qulal) et européenne (grès de Westerwald, faïence de Delft), de nombreux fragments de pipes en terre cuite blanche fabriquées en Hollande et en Ecosse (1668-1730), plus de 300 restes osseux de faune vertébrée, majoritairement des bovidés (zébus), du mobilier métallique, du verre ou encore des pierres à fusil, a permis de rapprocher directement cette occupation terrestre à l’épave du bateau qui se trouve à 70 m au nord-est du sondage et qui a sombré vers 1720. En conclusion, l’installation perceptible dans ce modeste sondage montre clairement la présence de plans de plusieurs bâtiments construits en matériaux périssables sur poteaux porteurs, à la manière des falafa malgaches, témoins évident des contacts entre les pirates et la population locale entre la fin du XVIIe et le début du XVIIIe siècle.

Fouille sur le sondage 2

J. Bagnolini, 2025 ©

Fouille sur le sondage 2

J. Bagnolini, 2025 ©

En mai 2025, c’est un nouveau sondage distant de 4 m plus au sud qui a été ouvert sous la direction d’Alexandre Coulaud assisté par Roxane Barataud. Mesurant 44 m², ce second sondage a livré 61 structures. La très grande majorité des structures archéologiques mises au jour ont été détectées sous un niveau anthropisé (US 2003) comprenant un important mobilier archéologique chronologiquement cohérent et attribuable à la fin du XVIIe siècle ou au premier tiers du XVIIIe siècle, très similaire à ce qui avait pu être observé l’an passé au sein du sondage 1. Creusés dans le niveau de sable de plage stérile (US 2005), on compte ainsi 55 trous de poteau, trois sablières basses, deux fosses dépotoirs et une fosse à pierres chauffantes directement sous la couche 2003 interprétée comme un niveau d’abandon ou de colluvionnement (abandon volontaire ou évènement climatique extrême). Comme en 2024, la plupart des trous de poteaux évoquent les cases traditionnelles malgaches et leurs remplissages livrent parfois une grande quantité d’objets associant souvent la porcelaine chinoise à décor bleu-blanc et la céramique de tradition malgache. De nombreux alignements ou associations au sein de ces trous de poteau sont déjà perceptibles et devront faire l’objet de vérifications stratigraphiques.


De plus, quatre trous de poteau au diamètre important (sup. à 50 cm) associés à d’imposants calages (Fait 2046, 2098, 2124 et 2130) témoignent de l’implantation d’un grand bâtiment sur poteaux porteurs dont la fabrication semble éloignée de l’architecture locale. Ce bâtiment apparaît orienté nord/sud et pourrait correspondre à un grand entrepôt édifié par les pirates sur l’îlot Madame proche de celui mentionné par la Royal Navy à la fin du XVIIe siècle. Il est encore un peu tôt pour le suggérer mais la présence de ces gros trous de poteau pourrait également évoquer l’utilisation de pièces de bois aux dimensions peu communes sur l’île à cette période, rendant possible l’hypothèse de la récupération de certains mâts venant des navires naufragés dans la baie.

Trou de poteau 2046 avec pierres de calage

A. Coulaud, 2025 ©

Trou de poteau 2046 avec pierres de calage

A. Coulaud, 2025 ©

Au moins deux grosses fosses dépotoirs ont pu être mises au jour dans la limite sud-ouest du sondage 2 (Fait 2092 et 2094). D’une morphologie très similaire, en limite sud du grand bâtiment, ces deux structures ont livré un très riche mobilier archéologique dont plus de 300 restes de faune portant des traces de boucherie mais également du mobilier de tradition européenne comme une perle en pâte de verre à décor polychrome, une monnaie en cuivre ou encore une possible poignée de coffre en fer. Ces structures témoignent d’une activité artisanale à proximité pouvant être mise en relation avec l’occupation des forbans sur l’îlot. A l’opposé du sondage, en limite est, une importante fosse de plan sub-rectangulaire à parois verticales et fond plat a été découverte (Fait 2090). Celle-ci est associée à un vaste niveau argileux rubéfiée associé à des roches et galets brûlés pouvant être interprété comme un four à pierres chauffantes. Des recherches sont en cours pour confirmer cette hypothèse.

Fouille en cours de la fosse 2094

J. Bagnolini, 2025 ©

Fouille en cours de la fosse 2094

J. Bagnolini, 2025 ©

Le travail d’étude ne fait que démarrer après l’accumulation de très nombreuses données de terrain issues du sondage 2.  La phase de post-fouille va permettre de proposer différentes phases d’occupation du site et de mettre en avant d’éventuels plans de bâtiments. La mise en corrélation du mobilier avec les structures viendra compléter les données stratigraphiques et spatiales issus des observations de terrain à travers un SIG, aidant ainsi à confirmer ou infirmer les hypothèses autour les différents périodes d’occupation.


Concernant le mobilier récolté en 2025, on compte 1983 restes dont 504 tessons de porcelaine chinoise datant de la fin de la période Kangxi, à décor bleu-blanc voire polychrome, 165 tessons de céramique graphitée de tradition malgache produite sur la Grande Terre (d’après les observations effectuées l’an passé), 36 fragments de céramique diverse européenne, asiatique ou orientale, 16 fragments de pipe en terre cuite blanche, 61 fragments de brique en terre cuite jaune et rouge, 78 objets métalliques majoritairement en fer, 771 fragments de faune vertébrée, majoritairement des restes de bovidés, 238 restes de faune invertébrée (coquillages), 12 fragments en verre et trois pierres à fusil en silex. L’étude détaillée du mobilier découvert aidera à mieux définir la période d’utilisation du site.

Bol en porcelaine chinoise de Zhangzhou, période Kangxi

A. Coulaud, 2025 ©

Bol en porcelaine chinoise de Zhangzhou, période Kangxi

A. Coulaud, 2025 ©

Céramiques graphitées de tradition malgaches

J. Soulat, 2025 ©

L’épave de bateau pirate SM2 : un cas unique au monde

L’épave de bateau pirate SM2 : un cas unique au monde

Plusieurs archives affirment que des navires pirates, et probablement certains vaisseaux capturés, ont été coulés dans la baie entre la fin des années 1690 et les années 1720. La zone devient alors un véritable cimetière naval où l’on voit encore les mâts et les vergues dépasser de l’eau. C’est précisément l’une de ces épaves qui est en cours de fouille depuis 2024. Précédemment découverte par une autre équipe américaine en 2000, elle avait fait l’objet de deux campagnes entre 2010 et 2015, aux investigations et résultats très controversés. Le mobilier récolté au cours de ces recherches, plus de 3 000 objets, a été réexaminé par notre équipe en 2022. Plusieurs interprétations avaient été proposées par l’équipe précédente, sans réels fondements scientifiques et remises en cause par l’UNESCO en 2015.


Menées sous la conduite de Yann von Arnim et Anne Hoyau, les fouilles ont repris en mai 2024 durant deux semaines. L’épave a été repérée à environ 40 m de distance de la rive et à 7 m de profondeur. Coulé dans le port actuel, le navire se trouve dans un environnement vaseux avec une mauvaise visibilité, enfoui sous un tas de pierres de lest à l’avant qui se compose d’une couche de galets puis de petits cailloutis. Après l’installation du carroyage et le démontage d’une partie de l’amas de pierres de lest, trois carrés de 2x2 m ont été partiellement fouillés laissant entrevoir la structure en teck du navire confirmé par les analyses xylologiques. L’équipe a mis au jour les restes d’empiètement du mât de misaine, en place, encastré par un tenon dans la carlingue, conservé sur 70 cm de hauteur. Le resserrement des formes architecturales ainsi que l’amorce d’une courbure vers le nord-ouest laissent supposer d’entrevoir la partie avant du bateau. Son flanc tribord apparaît sur 4 m de long et sur 3 m de large, probablement au premier quart avant du navire. Ces observations permettent de confirmer qu’il s’agit d’un bateau de construction massive de type européen assemblé avec des clous en fer de section quadrangulaire. La structure architecturale se compose de couples associant des membrures doubles d’environ 60 cm de large et d’une maille de 10 à 30 cm de large. Au total, avec l’utilisation d’un aspirateur sous-marin, c’est près de 9 m² qui ont été fouillés au sein des carrés E13, F12, F13 et F14, zone tribord du navire au nord-est. Au sud, une série de membrures isolées déjà visibles et un canon n’ont pas été dégagés. La fouille a livré 614 restes dont 316 tessons de porcelaine chinoise de la fin de la période Kangxi, 104 tessons de bouteilles de type qulal ou encore 19 fragments de céramique diverse et 12 objets métalliques qui ont été découverts. Au-dessus de la couche de cailloutis, sous les galets, une importante couche d’amandes appartenant à la cargaison du navire a été mise au jour. D’après l’étude des objets collectés, il est possible de proposer une date de naufrage vers 1720. La construction en teck et la composition de la cargaison du navire portent à croire qu’il s’agit d’un navire de commerce de type Indiaman de 30 à 40 m, peut-être de de la Compagnie Néerlandaise des Indes Orientales (VOC), fabriqué en Asie.


La reprise des fouilles en mai 2025 s’est effectuée durant trois semaines toujours sous la conduite d’Anne Hoyau et Yann von Arnim. Après l’installation du carroyage sur près de 200 m² orienté Nord-Sud, la fouille a été appuyée par l’utilisation de trois motopompes chacune étant équipée d’un aspirateur sous-marin, augmentant ainsi largement la capacité de travail par rapport à 2024. Plusieurs secteurs ont été fouillés en même temps : la partie avant tribord du navire au nord-est (carré E13, E14, E15, E16, F11, F13, F14, F15), la partie centrale tribord à l’est (G10, G11, G12) et la partie arrière tribord au sud-est (E6, E5, E4, F6, F5, F4) comprenant le canon (D6-E6). La partie avant partiellement découverte en 2024, notamment les membrures tribords, a pu être rattachée au reste de l’épave et aux membrures tribords au sud qui étaient déjà visibles. Tous les carrés fouillés n’ont pas été purgés complètement, l’objectif de cette année étant de découvrir totalement la partie tribord de l’épave du nord au sud, objectif qui a été réalisé avec près de 30 m² de fouillés. A plusieurs reprises, un relevé photogrammétrique a été effectué par Christophe Mathevot et Stefania Manfio ce qui a permis d’avoir une imagerie complète des secteurs fouillés, facilitant le relevé complet de l’épave. Au total, sur les deux campagnes 2024-2025, ce sont près de 40 m² qui ont été fouillés, soit d’un peu plus de 20 % de l’épave.

MNE de l'épave et orthophotographie de l'arrière

C. Mathevot, 2025 ©

MNE de l'épave et orthophotographie de l'arrière

C. Mathevot, 2025 ©

L’étude de l’épave porte sur les mesures et l’orientation de chacune des pièces architecturales (longueur, largeur, épaisseur, angle). La coque du navire se développe selon un axe longitudinal nord-sud sur une longueur d’au moins 30 m dont 27 m sont attestés archéologiquement. En largeur, le flanc tribord du bateau présente une dimension maximum de 4,50 m. On peut ainsi estimer une largeur approximative de 9 m conservés pour le fond de carène. Le flanc bâbord n’a été observé archéologiquement que dans la partie nord du site, soit l’avant du navire, sur environ 4,50 m de long vers le sud. On comptabilise un total de 57 pièces transversales sur l’ensemble du flanc tribord du navire. Sur l’avant du navire, on compte au moins 12 pièces transversales simple. 43 couples sur le flanc tribord (ST 33 à 76), constitués de deux membrures assemblées, prennent place ensuite en descendant vers le sud du site. Le rythme n’en est pas encore précisément déterminé et reste à mesurer précisément. La maille varie en effet de 5 à une trentaine de centimètres de large. Ces membrures, dans leur partie aérienne, sont couvertes d’une gangue ferreuse qui correspond à la corrosion des carvelles en fer employées pour leurs assemblages.  Le navire semble être posé droit sur sa quille. Le bordage, revêtement extérieur du navire, est visible de l’avant à l’arrière du navire à tribord et à bâbord pour les parties fouillées. Une rupture dans le rythme des couples au niveau du carré G11 pourrait porter à croire que le navire s’est brisé transversalement à ce niveau. Seul le dégagement de cette partie centrale du navire permettra de comprendre la fonction précise de ces pièces. En descendant vers l’extrémité sud de l’épave, on constate la présence de serres de grosse section (ST82, ST85, ST86), similaires à celles observées en 2024 à l’avant dans le carré F13 (ST20, ST22, ST25). La carlingue n’a a priori pas été atteinte dans cette partie arrière du navire à moins qu’elle soit amoindrie comparativement à sa section en F13. Les formes du navire portent à croire que le maître couple pourrait se situer dans les lignes 9 ou 10 du carroyage, au niveau du couple 55 ou 56.  Les structures 77, 78, 79 pourraient correspondre à des varangues.


On observe par ailleurs un dénivelé important du fond marin entre l’avant et l’arrière du navire. Cela pourrait expliquer la sensation d’accumulation que l’on a observé des vestiges lourds, tels que le canon et de quelques jarres vers l’arrière du navire. On peut également imaginer que le navire, en sombrant, pose son arrière en premier puis son avant et que de ce fait, les objets roulants s’amoncèlent à l’arrière venant par exemple se bloquer contre le canon.


Un constat peut être fait sur l’absence de certains éléments. Le navire semble avoir été vidé de l’ensemble de ses manœuvres (poulies, caps de mouton, cordages) classiquement en grande quantité voire de ces munitions (boulets, grappes de raisin, mitrailles etc.) même si cela reste à vérifier. De plus, le mobilier archéologique inventorié et laissé sur place lors du naufrage paraît peu important. Encore une fois, cette hypothèse reste à confirmer avec la poursuite des fouilles. Ces premières observations pourraient laisser penser qu’une partie de la cargaison a été débarquée et que le navire a été démâté et dégréé avant de sombrer.

Vue de l’avant du navire

J. Le Lay, 2025 ©

Vue de l’avant du navire

J. Le Lay, 2025 ©

Concernant le mobilier, on note la présence de 773 restes auxquels il faut ajouter le prélèvement de 400 amandes. On compte ainsi 263 tessons de porcelaine chinoise, 257 tessons de bouteilles en céramique de type qulal (176 NMI), 71 objets en métal dont 15 petites pièces en cuivre de l’Empire moghol, 29 restes en verre dont deux cols (bouteille anglaise et flacon hollandais) ou encore une statuette en ivoire de Saint-Antoine de Padoue.

Bol en porcelaine chinoise de la période Kangxi

J. Le Lay, 2025 ©

Bol en porcelaine chinoise de la période Kangxi

J. Le Lay, 2025 ©

Statuette en ivoire de Saint-Antoine de Padoue

J. Bagnolini, 2025 ©

Statuette en ivoire de Saint-Antoine de Padoue

J. Bagnolini, 2025 ©

Bibliographie

Bibliographie

Article de presse Le Quotidien de La Réunion, 7 juin 2025

Jean Soulat, Yann von Arnim, Alexandre Audard, John de Bry et Alexandre Coulaud

Jean Soulat, Yann von Arnim, Alexandre Audard, John de Bry et Alexandre Coulaud, « Réexamen du mobilier venant de l’épave d’un navire coulé par les pirates au XVIIIe siècle dans la baie d’Ambodifotatra, île Sainte-Marie, Madagascar », Afriques [En ligne], Varia, mis en ligne le 14 mars 2024, consulté le 12 juin 2024.

Jean Soulat

Jean Soulat, Pirates. Un archéologue révèle la véritable histoire des princes des mers, éditions Alisio, 2023.

Jean Soulat

Jean Soulat, Pirates. Un archéologue révèle la véritable histoire des princes des mers, éditions Alisio, 2023.

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