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Le speaker 1702

Le speaker 1702

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5 min

Nouvelle mission sur l’épave du Speaker, île Maurice

Nouvelle mission sur l’épave du Speaker, île Maurice

Le Speaker est à l’origine une frégate de guerre française de 500 tonneaux armée de 40 canons et mesurant 142 pieds de long (44 m) dont le nom n’est à ce jour pas connu. Le navire fut pris par le capitaine anglais Eastlake exerçant par la suite la traite négrière au large de l’Afrique. Ce dernier le rebaptisa Speaker mais nous n’avons pas plus de détails sur cette prise. C’est dans la rivière Methelage à Madagascar que le Speaker fut repris le 16 avril 1700 par le capitaine John Bowen, pirate anglais né aux Bermudes dans les années 1660. À peine deux ans plus, le Speaker fit naufrage sur la côte est de l’île Maurice le 7 janvier 1702.


Découvert en 1979, le site du naufrage du Speaker est situé à 2,5 km de Pointe aux Feuilles entre les communes de Quatre Sœurs et de Grande Rivière Sud-Est. Une première expédition française a été menée par Jacques Dumas et Patrick Lizé en 1980 puis une seconde en 1990 dirigée par Erick Surcouf. Plus de 1700 objets ont été retrouvés lors de ces investigations et l’étude du site a permis de mettre au jour 35 canons et quatre ancres. 


Suite à une mission d’étude du mobilier en mars 2019 et plusieurs publications, nous avons lancé en novembre 2021 une première mission archéologique sur le site : CRAHAM

Réexamen en cours des objets du Speaker en 2019

Y. von Arnim

Réexamen en cours des objets du Speaker en 2019

Y. von Arnim

Les objectifs de la mission 2021

Les objectifs de la mission 2021

Mesure en cours d’une des ancres du Speaker en 2021

Y. von Arnim

Mesure en cours d’une des ancres du Speaker en 2021

Y. von Arnim

La mission d’archéologie sous-marine sur l’épave du Speaker s’est effectuée du 14 au 26 novembre 2021 et a été soutenue par le gouvernement mauricien et le Mauritius Museums Council. L’équipe était composée de sept archéologues professionnels et amateurs sous la direction de Yann von Arnim et Jean Soulat. Anne Hoyau Berry a supervisé l’étude des ancres et des canons tandis que Christophe Mathevot a dirigé l’analyse photogrammétrique.


Les objectifs de cette mission étaient de délimiter l’emprise du site archéologique et de dresser un nouveau plan avec les outils technologiques numériques (photogrammétrie, modélisation 3D et SIG – Système d’Information Géographique). Tout d’abord, il fallait retrouver le site du naufrage et localiser les vestiges encore préservés. Dans la foulée, un nettoyage de ces éléments, canons et ancres, devait être mis en place dans le but de mieux les étudier. En complément, la documentation scientifique des vestiges archéologiques sous-marins (canons et ancres) était également au cœur du travail à mettre en place, qui s’est appuyé sur l’inventaire, le constat d’état conservatoire et l’enregistrement des mesures principales de ces éléments. Dans ce cadre, le comptage, la photographie, l’étiquetage et la prise des mesures de chaque individu (canons et ancres) du site étaient nécessaires tout comme le balisage de l’ensemble de la zone du naufrage. Enfin, dans la dynamique des nouvelles technologies actuelles de cartographie numérique, l’équipe devait essayer de géo-localiser chaque canon et ancre et surtout de dresser un plan total du site par l’intermédiaire de la photogrammétrie, créant un plan ortho-photographique et modèle numérique de surface (NMS) et en 3D. Aucune fouille ou sondage n’était envisagé lors de cette nouvelle campagne. Néanmoins, un ramassage du mobilier visible en surface a été opéré tout en le géo-localisant afin de le préserver du pillage. Après traitement conservatoire, les objets ont été remis au Musée National d’Histoire de Mahébourg.


La plupart des objectifs ont été atteints. Mais les contraintes de travail n’ont pas permis d’effectuer sur la totalité du site la photogrammétrie afin de réaliser un plan numérique de surface. Néanmoins, plus des deux-tiers des canons et toutes les ancres ont pu être pris en ortho-photographie. De plus, le plan complet du site a été réalisé avec des coordonnées GPS,9 générant ainsi un SIG.

Contraintes

Contraintes

L’accès au site du naufrage est complexe et cela en raison de différentes contraintes. D’une part, la localisation de l’épave du Speaker se situe à l’extérieur du lagon dans une zone soumise à des vagues de ressac. En conséquence, les conditions climatiques influencent donc plus facilement cette zone non abritée hors du lagon mauricien. Ces vagues de ressac entrainent une forte houle sous-marine dans une eau peu profonde qui perturbe fortement le site archéologique. Cette houle amène des mouvements est-ouest qui ne facilitent pas l’avancée des plongeurs. Autre difficulté majeure, le manque de visibilité en lien avec la force de cette houle. En effet, le mouvement des vagues fait également bouger les sédiments au fond. De ce fait, cela amène de nombreuses particules qui s’accumulent, troublant ainsi l’eau. Enfin, la dernière contrainte est l’environnement du site en lui-même. En effet, trois types de fond sont visibles : une large zone de corail mort (nord-ouest et sud-est), un grand banc de sable (centre) et un herbier (est et nord-ouest). Ainsi, cette différence a entrainé une conservation inégale des canons et des ancres entre les vestiges localisés vers le large et ceux qui sont vers le récif.

Étude des ancres et des canons

Étude des ancres et des canons

Sur les quatre ancres inventoriées par les missions précédentes, nous n’avons pu en retrouver que trois, une à l’est (ancre A2) et deux à l’ouest (A3-A4). La 1re ancre (A1) devait être visible plus à l’est, vers le large, bien avant l’ancre A2. Les ancres A2 et A3 sont quasiment complètes tandis que l’ancre A4 est très partielle. Elles mesurent entre 109 et 303 cm de long. Les ancres présentes sur le site sont légèrement sous-dimensionnées par rapport au tonnage du navire et surtout en nombre insuffisant. Si on admet que l’ancre principale est celle qui manque, cela signifie que A2 serait l’ancre secondaire et les deux autres, la 3e et la 4e, ce qui correspond à quelques centimètres près à la réalité puisque leur taille d’après les normes de la marine de l’époque définit leur positionnement à l’avant ou l’arrière du navire. Ces ancres n’étaient cependant que d’un faible secours pour freiner la course du Speaker par une mer très agitée.

Mesure en cours d’une des ancres du Speaker en 2021

Gedeon Programmes

Mesure en cours d’une des ancres du Speaker en 2021

Gedeon Programmes

Concernant les canons, 32 ont été retrouvés et étudiés. Par rapport aux plans précédents, nous savons que trois canons n’ont pas été localisés, mais qu’un nouveau a été découvert, tandis qu’il faut ajouter le pierrier en bronze déjà prélevé. Leur étude a permis de proposer une attribution fonctionnelle et une classification par calibre, voire une détermination de la nationalité. Ainsi, on compte cinq canons interprétés comme des canons de lest en raison de leur déclassement qui s’explique par des stigmates visibles (tourillon cassé, volée, bouche ou culasse éventrée). Tous les autres canons ont eu une vocation défensive et furent en état de tirer jusqu’au naufrage. Tous les canons mesurent entre 132 et 297 cm de long (hors tout). Concernant les recherches de calibre, on constate la prédominance des petits calibres, du 4 au 8 livres, ce qui correspond à l’échantillonnage des canons d’un navire français de 5e rang (calibre 8 pour la 1re batterie et de 6 pour la 2e batterie et les gaillards). Concernant l’origine des canons, 16 sont sans correspondance, trois sont français, trois sont anglais, et neuf ont une double correspondance française/anglaise.

Un des canons du Speaker en 2021

Y. von Arnim

Photogrammétrie des canons du Speaker en 2021

C. Mathevot

Deux amas de boulets de canon découverts

Deux amas de boulets de canon découverts

Deux amas de boulets de canon, en fonte de fer, ont pu être localisés à l’ouest de l’ancre A3. Ils en sont distants de quelques mètres. Leur localisation « en pyramide » et à proximité des deux ancres et de plusieurs canons permet d’identifier l’emplacement final de l’épave du Speaker. Certains d’entre eux ont été prélevés lors de la campagne. Le premier amas (B1) regroupe huit boulets sphériques en fonte de fer. Sur cet amas, cinq boulets ont pu être prélevés. Le second amas (B2) rassemble six boulets sphériques également en fonte de fer. Ce second amas n’a fait l’objet d’aucun prélèvement. Ils présentent tous un état sanitaire mauvais avec une forte oxydation voire une perte de matière. De forme sphérique, les boulets de canon sont coulés et moulés dans des moules bivalves. Avec beaucoup de précaution, on peut les diviser en trois grands calibres : 4 (quatre ex.), 8 (huit ex.) et 12 livres (deux ex.). Cinq projectiles proviennent probablement de France et quatre d’Angleterre.

Boulets de canon récoltés sur le site en 2021

J. Soulat

Autres objets mis au jour

Autres objets mis au jour

Au total, ce sont 41 objets (dont les boulets de canon) qui ont été découverts lors de cette campagne. Ils peuvent se répartir dans des catégories fonctionnelles : armement, éléments d’assemblage, mobilier à valeur ornementale, mobilier de bord, vaisselle ou de nature encore indéterminée. Parmi ces objets, on note la présence de fragments de vaisselle en céramique et en verre (jarre de stockage asiatique, bol en porcelaine chinoise à décor blanc et bleu de la période Kangxi (1662-1722), flacon et bouteille à profil en forme d’oignon) mais aussi de cinq perles en pâte de verre, de neuf balles de plomb, d’une pierre à fusil ou encore d’une manille en alliage cuivreux.

Conclusion et perspectives

Conclusion et perspectives

La campagne 2021 a été riche en découverte. Les objectifs ont été en partie remplis mais le Speaker n’a pas encore livré tous ses secrets.


Complémentaires aux résultats de la mission, la prochaine campagne aura pour objectif de terminer l’exploration du site avec la découverte de la 4e ancre, à l’extrémité est du site, et les trois canons manquants qui n’ont pas pu être mis en évidence cette année. Il faudra également terminer de réaliser la photogrammétrie de l’ensemble des vestiges mis au jour, canons, ancres et amas de boulets de canon. Le modèle 3D de l’ensemble du site restera à compléter afin de mieux renseigner les distances entre les pièces.


Une fois ce travail accompli, l’équipe pourra se concentrer sur le traitement archéologique de deux secteurs majeurs du site : le banc de sable et la zone de l’épave. Le banc de sable est clairement la zone de travail la plus complexe avec un fort potentiel de découverte d’autres vestiges. La zone de l’épave fera l’objet d’une investigation plus poussée afin d’essayer retrouver des restes de la coque.

Recherches en décembre 2023 : des pirates de la mer à la terre ferme !

Recherches en décembre 2023 : des pirates de la mer à la terre ferme !

Du 27 novembre au 7 décembre, le mobilier archéologique du Speaker a été ressorti au Musée National d’Histoire de Mahébourg dans le but de le comparer à la vaste collection venant du Fort hollandais Frederik Hendrik, lieu de repli qui a accueilli les pirates de John Bowen durant trois mois en 1702. Fondé en 1638, ce for hollandais a été fouillé par l’Université d’Amsterdam entre 1997 et 2005 sous la direction de Pieter Floore et de Ranjith Jayasena.

Yann von Arnim et Jean Soulat en décembre 2023 au Musée National d’Histoire de Mahébourg, île Maurice

L’importante fouille n’a pas permis d’étudier l’ensemble des objets. L’objectif était donc de rechercher des indices datant de la 2ème période hollandaise entre 1698 et 1710, au moment où la colonie était sous la direction du gouverneur Deodati et où les pirates de Bowen sont précisément venus sur l’île, accueillis dans la loge du gouverneur en 1702. Au cours de cette période singulière, la modeste colonie était soutenue par une petite quarantaine de soldats postés au fort construit en bois. Elle se composait d’environ 300 colons répartis sur l’île. 


L’intérêt consiste à essayer de mieux comprendre, d’après la culture matérielle, les conditions de vie de la colonie hollandaise lorsqu’ils ont accueilli les pirates et de montrer les éventuels liens avec les forbans en réexaminant les objets datés entre la fin du XVIIe et le début du XVIIIe siècle.


Dans ce cadre, deux fragments d’assiette de la VOC en porcelaine japonaise produite à Arita ont été découverts en 1980, non identifiés à l’époque, tandis que plusieurs tessons similaires ont aussi été récoltés lors des fouilles du fort. De plus, de longues perles polygonales en agate d’origine asiatique ont été localisées sur les deux sites. Ces quelques correspondances interpellent car il s’agit d’objets finalement peu communs dans la culture matérielle de cette période. Ces éléments peuvent-ils être interprétés comme le témoin des échanges entre les pirates de Bowen et la colonie hollandaise de Deodati ? Il paraît un peu rapide de l’évoquer ainsi même si l’hypothèse reste possible. Les futures recherches sur le mobilier archéologique du fort permettront peut-être de révéler de nouvelles correspondances entre ces deux sites contemporains du début du XVIIIe siècle.

Comparaisons du mobilier du Speaker et du Fort hollandais

J. Soulat

Bibliographie

Bibliographie

Von Arnim et al. 2019

Y. von Arnim, P. Lizé, J. Soulat, « L’épave du Speaker 1702, navire pirate de John Bowen (Grande Rivière Sud-Est, île Maurice) », dans J. Soulat (dir.), Archéologie de la Piraterie des XVIIe-XVIIIe siècles. Étude de la vie quotidienne des flibustiers dans les Caraïbes et l’océan Indien, Drémil-Lafage, Éditions Mergoil, 2019 (Hors collection), p. 97-107.

Von Arnim et al. 2019

Y. von Arnim, P. Lizé, J. Soulat, « L’épave du Speaker 1702, navire pirate de John Bowen (Grande Rivière Sud-Est, île Maurice) », dans J. Soulat (dir.), Archéologie de la Piraterie des XVIIe-XVIIIe siècles. Étude de la vie quotidienne des flibustiers dans les Caraïbes et l’océan Indien, Drémil-Lafage, Éditions Mergoil, 2019 (Hors collection), p. 97-107.

Lizé 1984

P. Lizé, « The Wreck of the Pirate Ship Speaker on Mauritius in 1702 », The International Journal of Nautical Archaeology and Underwater Exploration, 13, 2, 1984, p. 121-132.

Lizé 1984

P. Lizé, « The Wreck of the Pirate Ship Speaker on Mauritius in 1702 », The International Journal of Nautical Archaeology and Underwater Exploration, 13, 2, 1984, p. 121-132.

Lizé 1987

P. Lizé, La véritable histoire du pirate Bowen, Paris, Glénat, 1987, 186 p.

Lizé 1987

P. Lizé, La véritable histoire du pirate Bowen, Paris, Glénat, 1987, 186 p.

Lizé 2006

P. Lizé, « Piracy in the Indian Ocean. Mauritius and the Pirate Ship Speaker », dans R. K. Skowronek, C. R. Ewen (dir.), X Marks the Spot. The Archaeology of Piracy, Gainesville, University Press of Florida, 2006, p. 81-99.

Lizé 2006

P. Lizé, « Piracy in the Indian Ocean. Mauritius and the Pirate Ship Speaker », dans R. K. Skowronek, C. R. Ewen (dir.), X Marks the Spot. The Archaeology of Piracy, Gainesville, University Press of Florida, 2006, p. 81-99.

Soulat et al. 2019

J. Soulat, Y. von Arnim, P. Lizé, « Le mobilier de l’épave pirate du Speaker 1702 », dans J. Soulat (dir.), Archéologie de la Piraterie des XVIIe-XVIIIe siècles. Étude de la vie quotidienne des flibustiers dans les Caraïbes et l’océan Indien, Drémil-Lafage, Éditions Mergoil, 2019 (Hors collection), p. 245-267.

Soulat et al. 2019

J. Soulat, Y. von Arnim, P. Lizé, « Le mobilier de l’épave pirate du Speaker 1702 », dans J. Soulat (dir.), Archéologie de la Piraterie des XVIIe-XVIIIe siècles. Étude de la vie quotidienne des flibustiers dans les Caraïbes et l’océan Indien, Drémil-Lafage, Éditions Mergoil, 2019 (Hors collection), p. 245-267.

Soulat, Arnim 2022

J. Soulat, Y. von Arnim, Speaker 1702. Histoire et Archéologie d’un navire pirate coulé à l’île Maurice, Éditions ADLP, 2022, 114 p.

Soulat, Arnim 2022

J. Soulat, Y. von Arnim, Speaker 1702. Histoire et Archéologie d’un navire pirate coulé à l’île Maurice, Éditions ADLP, 2022, 114 p.

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