Fouille
Archeologie
Terrestre
Madagascar
5 min
Introduction
La côte est de Madagascar fût fréquentée par les Européens dès le XVIe siècle. Aux Portugais sont venus s’ajouter les Hollandais suivis par les Anglais et les Français. Ils venaient commercer en qualité de traitants mais à la fin du XVIIe siècle, une nouvelle catégorie d’étrangers fit son apparition : les pirates. L’apogée de la piraterie se déroule dans l’intervalle 1680-1720 et la façade maritime orientale leur servit de base d’opérations. Ils choisirent en primauté comme lieu de repaire le nord-est de Madagascar en particulier la baie d’Antongil, Foulpointe et l’île Sainte-Marie. Ils seraient à l’origine du développement portuaire de toute la côte orientale. Ils formaient un groupe cosmopolite composé de membres issus d’horizons sociaux variés (nobles, anciens soldats de la marine royale ou simples marins) mais où prédomine la nationalité anglaise. Leur installation en ces endroits répond à des impératifs stratégiques puisque leur position permettait de surveiller les navires faisant la route jusqu’aux Indes. Les pirates installés dans ces zones ont vite formé une coalition d’intérêts avec les populations malgaches locales en particulier les Betsimisaraka qui occupaient les littoraux de la côte nord-est et notamment l’île Sainte-Marie. La baie d’Ambodifotatra sur l’île Sainte-Marie apparaît dans les sources historiques comme un vrai repaire de pirates entre les années 1690 et 1730, probablement le principal foyer de piraterie de l’océan Indien.
Vue de la baie des pirates, île Sainte-Marie, Madagascar
J. Soulat
Il faut souligner qu’aucune investigation terrestre n’a été réalisée sur l’île Sainte-Marie que ce soit sur les occupations anciennes ou coloniales voire pirates. Cependant, la zone a déjà fait l’objet d’investigations subaquatiques partielles. Elles ont révélé les premiers témoins du passage des forbans avec les restes de quelques navires. Ils semblent qu’ils aient été coulés volontairement dans le but de créer une barrière anthropique sous-marine afin de défendre la baie contre les marines royales française et britannique. Ces recherches ont permis la découverte entre 2000 et 2015 d’une épave présumée comme étant celle du capitaine pirate William Condon (alias Christopher Condent ou Edward Congdon), le Fiery Dragon. Le navire aurait été sabordé par l'équipage en février 1721 dans la baie. La raison de ce sabordage peut s’expliquer par un document retrouvé dans les archives départementales du Morbihan à Vannes (Bretagne, France) : une amnistie ordonnée par le gouverneur de Bourbon Joseph Beauvollier de Courchant et signée le 25 novembre 1720. Elle stipule notamment des clauses qui devront être respecté par le pirate Edward Congdon pour qu’il soit gracié comprenant notamment le sabordage de ses navires au mouillage sur l’île Sainte-Marie, là où il réside temporairement. Grâce à ce document, nous savons que plus de 135 pirates et près de 80 esclaves noirs de Guinée vivaient encore à cette période sur l’île Sainte-Marie.
Extrait de la demande d'amnistie conservée aux archives départementales du Morbihan à Vannes
J. Soulat
Des investigations archéologiques ont été menées en 2010 et 2015 sur la zone. Une possible deuxième épave, probablement asiatique, aurait été coulée à la même période, se superposant au Fiery Dragon mais cette hypothèse reste à confirmer. En plus des vestiges de la structure en bois de l’épave supposée du Fiery Dragon, un grand nombre d'objets a été découvert avec plus de 2000 fragments de porcelaine chinoise, 13 pièces d'or de diverses origines ainsi que des objets d'origine européenne. L'assemblage est daté entre la fin du XVIIe siècle et l'année 1721, datation qui repose sur les monnaies et la porcelaine. Une autre épave dite « l’épave du chenal », qui pourrait être le Mocha Frigate ou le Great Mahomet, navire du pirate Robert Culliford, a également été découverte et très partiellement fouillée. Enfin, l’Adventure Galley, le navire du pirate William Kidd, aurait également été trouvée mais aucune information liée à cette découverte n’a été détaillée dans les rapports consultés. Au total, ce serait deux voire quatre épaves qui auraient été découvertes par l’équipe américaine. Cependant, une équipe de l'UNESCO sous la direction de Michel L’Hour est venue en 2015 vérifier l'identification et l’authentification de ces découvertes. Le rapport de l’UNESCO contredit clairement l'identification de ces épaves, mais le débat reste ouvert pour le Fiery Dragon qui pourrait également être un autre navire récupéré par les pirates de Condon. L’UNESCO préconise néanmoins d’approfondir les recherches.
Depuis 2015, aucune nouvelle investigation n’a été menée sur ces épaves. Malgré le grand intérêt des vestiges découverts, un travail scientifique approfondi pluridisciplinaire reste à entreprendre pour bien identifier ces épaves afin de les replacer dans le contexte historique de la baie et du commerce maritime vers l’Orient au XVIIIe siècle.
Outre l’étude de ces épaves, il est capital ici d’essayer de percevoir les vestiges des occupations terrestres laissés par les Français et par les pirates. Les récits et les plans datés entre la 2ème moitié du XVIIe et le début du XVIIIe siècle montrent clairement que la baie d’Ambodifotatra était occupée par un petit contingent de la marine royale française dès les années 1650, possible avant-poste de Fort Dauphin sous la direction de Flacourt, secteur investi par les Français dès 1640 avec l’édification du fort et jusqu’en 1674 avec l’abandon. Plusieurs conflits ont eu lieu entre les Français de l’île Sainte-Marie et les indigènes malgaches, notamment en 1656. Avec l’abandon progressif par les Français de Fort Dauphin, Sainte-Marie est délaissé par les troupes françaises en 1669. On ne sait si les Français ont édifié sur place des aménagements défensifs, notamment un fortin qu’ils auraient ensuite abandonné. A partir des années 1680, les premiers pirates commencent à débarquer sur l’île Sainte-Marie et particulièrement dans la baie d’Ambodifotatra. On sait qu’ils occupèrent la zone jusque dans les années 1720-1730.
Plan non daté de la baie de Sainte-Marie, probablement un plan projet pour défendre la baie par les Français vers 1750
crédit BNF
Plan daté de 1730 de la baie de Sainte-Marie montrant la vision de la France en édifiant un grand fort de style Vauban
crédit BNF
A partir de 1680-1690, on sait que les pirates investissent les lieux. L’occupation défensive de la baie aurait été développée à partir de 1691 sous l’impulsion du pirate anglais Adam Baldridge avec notamment la construction du premier fortin de l'île. On sait d'après les plans français de 1733 que les pirates carènent sur l'îlot Madame et qu'ils se ravitaillent en eau à l'Aiguade, à l'intérieur de la baie. L’Île Sainte-Marie était un point d’étape stratégique pour contrôler les navires passant par la route des Indes, mais aussi pour faire le ravitaillement.
La baie d’Ambodifotatra sur l’île Sainte-Marie à Madagascar apparaît dans les sources historiques comme un vrai repaire de pirates entre les années 1690 et 1730, probablement le principal foyer de piraterie de l’océan Indien. Cependant, la zone est loin d’avoir livré tous ses secrets. L’archéologie subaquatique a commencé à montrer les premiers témoins du passage de ces forbans avec les restes de navires coulés volontairement dans le but de créer une barrière anthropique sous-marine contre la marine royale française et britannique. Malgré le grand intérêt des vestiges découverts, un travail scientifique approfondi pluridisciplinaire reste à entreprendre pour bien identifier ces épaves afin de les replacer dans le contexte historique de la baie.
A ce jour, aucune investigation archéologique n’a été menée sur les vestiges terrestres coloniaux de la baie en lien avec l’occupation de la marine royale française puis l’installation de ces pirates. Cette problématique novatrice en archéologie de la piraterie pourrait permettre de mieux comprendre l’installation de ces forbans, leur mode de vie, l’exploitation des matières premières et le mode de construction de ces aménagements. Grâce à l’archéologie et à l’étude de la culture matérielle, il sera primordial d’essayer de mesurer l’impact des populations indigènes sur l’installation des pirates, l’équilibre entre les deux cultures et pourquoi pas percevoir une certaine acculturation entre ces deux communautés.