Fouille
Archeologie
Terrestre
Madagascar
5 min
La mission archéologique STM 2024
Les archives soulignent que les pirates s’impliquent pleinement dans l’économie de la traite négrière dans l’océan Indien. Toutefois leur installation à Madagascar reste provisoire, y compris dans la baie d’Ambodifotatra. Ils collaborent avec les autochtones dont ils dépendent, tout en conservant pour seul objectif de réaliser des prises entre la péninsule Arabique et les côtes indiennes. Ces cargaisons et marchandises volées ont pour unique vocation d’être échangées et vendues en Europe ou dans les colonies américaines. Devenue l’un des principaux points de ralliement des pirates, la baie d’Ambodifotatra se transforme, de fait, en lieu de transit de leurs marchandises. Entre 1690 et 1691, le pirate Adam Baldridge y installe un comptoir sous la direction du marchand et armateur new-yorkais Frederick Phillips. Jusqu’en 1697, ce port ravitaille plusieurs navires pirates de passage avant qu’un grand contingent ne soit massacrée après la mise en esclavage d’une partie de la population locale par Baldridge. Plusieurs témoins décrivent la présence de fortifications, d’habitations protégées ou encore d’un fort capable de contenir 150 hommes et disposant de canons. Ce dernier abrite des entrepôts et une grande maison, probablement localisés sur la colline de la Possession (à l’emplacement du fort actuel édifié vers 1866 par les Français). Par ailleurs, le traitant français Robert, prisonnier des pirates au début des années 1720, indique que ces derniers (dont les hommes des capitaines Taylor et La Buse) habitent généralement dans des maisons surélevées (cases) dotées de palissade en gros pieux avec meurtrières et canons. Ce témoignage est corroboré par celui de Clement Downing, membre d’une escadre britannique présente à Sainte-Marie en avril 1722. Il décrit plusieurs canons abandonnés sur l’îlot Madame et de très nombreuses caisses de porcelaine chinoise. Il note également la présence d’habitations malgaches sur l’îlot Madame et l’île aux Forbans. Enfin, bien que les relations semblent avoir été conflictuelles entre pirates et sociétés malgaches, des liens ont été tissés. L’existence même des forbans dépendait de la volonté des souverains locaux (mpanjaka) et du ravitaillement qu’ils proposaient. Certains pirates s’unissent à des femmes malgaches installant ainsi une relation de confiance et facilitant le commerce. Ces unions donnent naissance à des enfants nommés malata (« mulâtres »).
Reconstitution imagée de l'îlot Madame aux temps des pirates
A. Carné, Gedeon Programmes
Plusieurs archives affirment que des navires pirates, et probablement certains vaisseaux capturés, sont coulés dans la baie entre la fin des années 1690 et les années 1720. La zone devient alors un véritable cimetière naval où l’on voit encore les mâts et les vergues dépasser de l’eau. C’est précisément l’une de ces épaves que l’équipe internationale du programme de recherche Archéologie de la Piraterie a étudiée et fouillée du 13 au 25 mai 2024. Précédemment découverte par une équipe américaine en 2000, elle avait fait l’objet de quelques campagnes entre 2010 et 2015, aux investigations très controversées. Ces études ont livré plus de 3 000 objets majoritairement asiatiques, réexaminés en 2022 par notre équipe. Elle a successivement été identifiée comme le Fiery Dragon, navire d’origine hollandaise, puis le Compagnies Welvaren, une frégate néerlandaise de la Compagnie néerlandaise des Indes occidentales (Geoctroyeerde Westindische Compagnie, GWC) qui a coulé en 1721 dans la baie. Ces attributions ont toutefois été remises en cause par l’Unesco après une mission de vérification en 2015.
Menées sous la conduite de Yann von Arnim et Anne Hoyau Berry, les nouvelles recherches en 2024 souhaitent clarifier ce point. Dès la première plongée, le site a été retrouvé à environ 40 m de distance de la rive et à 7 m de profondeur. Coulé dans le port actuel, le navire se trouve dans un environnement vaseux avec une très mauvaise visibilité, enfoui sous plusieurs tas de ballasts de pierres de taille. Outre deux canons en fer mesurant environ 2,7 m de long, les vestiges d’architecture navale ont été dégagés : les pièces de bois sont conservées sur près de 15 m de long avec des membrures arasées, des vaigres, probablement une serre et la carlingue, le tout fixé par des carvelles en fer (gros clous de section quadrangulaire).
De nombreux objets ont aussi été collectés comme de la vaisselle en porcelaine chinoise (gobelets, bols, coupelles et assiettes) de la période Kangxi (1662-1722) à décor floral bleu et blanc mais aussi de style Imari. Parmi les objets exceptionnels mis au jour, figurent une petite monnaie orientale en argent, probablement frappée au Yémen à la fin du XVIIe siècle, un goulot de bouteille en céramique noire et les restes d’une bouteille à anse en céramique rouge, toutes deux de tradition asiatique, deux balles en plomb liées à l’armement ou encore le buste d’une figurine aux traits féminins de la période Kangxi. On note également une joue de poulie en bois, des restes de bout (cordage) et des concentrations de marchandises (amandes et cauris) récupérées par les pirates pour être vendues ou échangées.
Les 500 objets récoltés lors de la fouille, dont certains très bien datés, ont permis d’estimer le naufrage aux années 1720. Mais pour identifier le navire, il est nécessaire de mieux connaître son architecture navale. Les premiers éléments évoquent un bateau de gros tonnage et de grandes dimensions, avoisinants les 40 m de long. Des échantillons de bois des pièces structurelles intérieures du navire ont été prélevés pour déterminer les essences utilisées. Les analyses effectuées par Stéphanie Wicha (Inrap) ont révélé qu’il s’agissait de teck ce qui prouvent que ce navire a été très probablement fabriqué dans le sud-est de l’Asie entre la Birmanie et les Philippines. Son identité reste pour l’instant inconnue.
Devant le musée de la Reine Bétia, à environ 30 m de la rive, l’équipe de fouille, dirigée par Alexandre Coulaud et Ludovic Ibba, a ouvert un sondage archéologique de 18 m2. Dès les premiers centimètres, les vestiges sont apparus sous la forme de nombreux fragments de porcelaine chinoise de la période Kangxi et de tessons de céramique locale. Puis dans une couche plus compacte se trouvait du matériel résiduel du XIXe siècle. En dessous, une nouvelle strate a livré de nombreux trous de poteaux avec calage de pierre, des ossements de faune, toujours de la porcelaine chinoise (gobelets, bols, coupelles et assiettes, tout à fait identiques à ceux découverts sur l’épave) de la fin de la période Kangxi (1710-1715), et, nouveauté, de la céramique malgache en nombre, certains tessons aux décors de zigzag à la molette, caractéristiques des productions des XIVe-XVIIe siècles (signe des liens entre les forbans et les populations locales). Quelques tessons de grès chinois appartenant à des jarres aux dragons, de faïence française et de Delft (Hollande) ou encore de grès de Westerwald (Allemagne), des XVIIe-XVIIIe siècles, complètent l’ensemble. De nombreux fragments de tuyaux de pipe en terre cuite blanche ont été retrouvés dont un fabriqué en Écosse, précisément à Glasgow par le maître pipier James Colquhoun entre les années 1668 et 1730. On note également une balle de mousquet en plomb, quelques pierres à fusil en silex, des scories de verre et une grande quantité de coquillages dont des cauris. Au total, plus de 2000 objets ont été récoltés. La présence de ces structures (trous de poteaux, fosses, voire foyer) révèle très probablement les restes d’une occupation éphémère édifiée par les pirates au début du XVIIIe siècle, au moment où ils résident sur l’îlot Madame et y stockent les marchandises capturées en mer.
Tessons de céramique de tradition malgache venant du sondage
J. Soulat
Soulat et al. 2024
J. Soulat, Y. von Arnim, A. Audard, J. de Bry et A. Coulaud, « Réexamen du mobilier venant de l’épave d’un navire coulé par les pirates au XVIIIe siècle dans la baie d’Ambodifotatra, île Sainte-Marie, Madagascar », Afriques [En ligne], Varia, mis en ligne le 14 mars 2024, consulté le 03 septembre 2024. URL : http://journals.openedition.org/afriques/4694 ; DOI : https://doi.org/10.4000/afriques.4694
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